Station Chelléenne

C’était la première fois que l’on retrouvait des vestiges de cet animal dans les environs de PÉRIGUEUX, ainsi que le constate le Bulletin de la Société historique et archéologique du Périgord de janvier 1893. Ce précieux débris est actuellement conservé au musée de PÉRIGUEUX.

Découverte du Rhinocéros Tichorhinus

Par M. le Dr G. LASSERRE, chef des travaux d’histoire naturelle à la Faculté de médecine de BORDEAUX, et M. J. CHAMPAGNE, préparateur au laboratoire d’histoire naturelle de la Faculté de médecine de BORDEAUX.

A environ 4 kilomètres de PÉRIGUEUX, sur le territoire de la commune de TRÉLISSAC, la route nationale, connue sous le nom de route d’EXCIDEUIL, est bordée d’un côté par la rivière de l’Isle et de l’autre par une colline calcaire en forme de falaise. Cette colline, avant l’ouverture de la route, s’étendait en pente douce jusqu’à la rivière. A l’extrémité ouest de cet escarpement, c’est-à-dire dans la direction de PÉRIGUEUX, on rencontre une grande sablière, connue dans le pays sous le nom de sablière de Chabanas, du nom du propriétaire.

 

Cette sablière, d’où l’on retire un sable très fin, est située dans une grande vallée perpendiculaire à la route ou mieux à la rivière, vallée limitée par les rochers escarpés dont nous avons parlé et le coteau des Jalots que l’on rencontre en allant vers PÉRIGUEUX à 1.500 mètres environ de notre point de départ.

On reconnaît aisément qu’il a dû y avoir là, à une époque très reculée, un immense courant d’eau, à la masse de cailloux roulés qui forment dans le fond de cette vallée une couche de plusieurs mètres d’épaisseur, exploitée pour l’entretien des routes.

C’est sur le bord de la route et appuyée contre l’escarpement de rochers limitant la rive gauche de cette sorte de vaste estuaire qu’est exactement située la sablière qui nous intéresse et dans laquelle nous avons trouvé les objets de l’époque chelléenne, qui caractérisent cette station.

Nous ne voulons point dire qu’il y avait là une station, au sens propre du mot, celle-ci devant être située plus en amont, en un point que nous arriverons peut être plus tard à déterminer. Tous les objets que nous avons pu recueillir, silex ou débris animaux, ont en effet subi au moins en partie l’action des eaux torrentielles. A ce confluent des deux vallées, celle qui nous occupe et celle de l’Isle, il y avait assurément un immense tourbillon où se déposaient, avec le sable entraîné, les dépouilles des animaux et les ustensiles arrachés aux stations riveraines lors des grandes crues. Si l’on considère que la sablière de Chabanas est exploitée sur une longueur d’environ 200 mètres et qu’elle a une hauteur de 15 à 20 mètres, on est de suite fixé sur l’importance du mouvement des eaux à certaines périodes. De gros blocs de silex roulés se rencontrent à différents niveaux où ils constituent des lits, qui confirment encore l’hypothèse de crues énormes, coïncidant sans nul doute avec les époques de fonte des neiges ou des glaciers.

C’est dans l’une de ces couches de silex, à 9 mètres environ au-dessus du niveau de la route, que l’on met à jour, de temps en temps, des instruments grossiers de silex que l’on désigne sous le nom de coups de poing chelléens et qui caractérisent les formes les plus primitives de l’époque quaternaire. Le nombre de ces instruments s’accroît au fur et à mesure de l’exploitation de la sablière, mais tous ne présentent point les stigmates d’usure sur les angles et les arêtes produits par l’entraînement des eaux ; quelques-uns, rares il est vrai, paraissent très soignés, leurs arêtes vives sont parfaitement conservées.

Cela semblerait indiquer qu’ils n’ont point été roulés par le torrent, mais qu’ils sont restés déposés sur place. C’est la présence de ces derniers instruments qui nous autorise à qualifier ce point du nom de station.

L’époque suivante, l’époque moustérienne, est aussi représentée par quelques silex taillés sur une seule face, des pointes et des racloirs. Nous maintenons cependant à cette station la dénomination de chelléenne parce que ce sont les instruments de cette époque qui domine ; rien, d’ailleurs, ne s’oppose à ce que dans la suite elle ait été occupée par des hommes de la période moustérienne. Cela prouverait tout simplement que la situation était bonne et qu’elle était appréciée. C’est d’ailleurs ce que démontre la découverte dont nous allons parler.

Outre les instruments en silex que nous venons  de décrire, les ouvriers ont, à plusieurs reprises, trouvé dans cette même couche des fragments de molaires de mammouth (Elephas primigenius), et, en 1888, l’un d’eux mit à découvert une défense entière de cet animal en même temps qu’un os long, paraissant être un tibia, de ce gigantesque pachyderme. La défense figure aujourd’hui dans la collection de M. PITARD.

Le 2 décembre 1892, M. CHAMPAGNE qui explorait la sablière, à la recherche de quelques objets chelléens, remarquait toujours au même niveau quelques fragments lamelleux blanchâtres, ayant l’apparence de débris osseux. C’étaient, en effet, des débris d’une portion de défense de mammouth, qui mesurait environ 50 centimètres de longueur, mais qui s’effritait avec une extrême facilité lorsqu’on essayait de la dégager de sa gangue sableuse. Recherchant dans le sable le reste de cette défense, il ne put la retrouver, mais son travail devait être largement récompensé par la découverte d’un fragment de maxillaire dans lequel étaient encore implantées trois molaires. Cet os, devenu très friable par l’action des éléments, et ces dents avaient appartenu à un Rhinocéros tichorhinus.

 

C’était la première fois que l’on retrouvait des vestiges de cet animal dans les environs de PÉRIGUEUX, ainsi que le constate le Bulletin de la Société historique et archéologique du Périgord de janvier 1893. Ce précieux débris est actuellement conservé au musée de PÉRIGUEUX. Le lendemain, le regretté Michel HARDY accompagnait M. CHAMPAGNE à la sablière pour continuer les recherches dans ce sens, mais aucune nouvelle trace de Rhinocéros tichorhinus ne put être retrouvée. Seul un nouveau fragment d’environ 20 centimètres de défense de mammouth put être recueilli. Ce sont ces débris très fragiles et collés ensemble qui sont au musée de PÉRIGUEUX.

Profitant des vacances du jour de l’an, M. CHAMPAGNE retournait le 30 décembre 1895 à cette sablière si attractive ; et cette fois il avait le bonheur de trouver un morceau de crâne que nous avons reconnu appartenir au Rhinocéros tichorhinus.

Les mauvais temps avaient éloigné les ouvriers depuis quelques jours, les eaux atmosphériques avaient suffi à tasser le sable et à déblayer cette partie nouvelle du squelette désiré.

Il est probable que nous aurons encore l’occasion de retrouver d’autres fragments se rapportant au même animal, mais il faut pour cela que beaucoup de sable soit encore remué. Tout porte à croire, en effet, que le mouvement des eaux dont nous avons déjà parlé, mouvement tourbillonnant qui a donné naissance à la sablière, a dû briser et disperser les ossements des animaux entraînés par le torrent ou surpris par lui dans sa course.

Quoi qu’il en soit, il résulte de ce qui précède que c’est dans la station chelléenne de TRÉLISSAC, que le Rhinocéros tichorhinus, anima moustérien, a été découvert, pour la première fois, dans les environs de PÉRIGUEUX. Jusqu’ici sa présence n’avait été signalée dans cette région que dans l’arrondissement de SARLAT, dans la grotte de Pech-de-Bourre, canton de CARLUX, et encore par un simple fragment de tibis.